Conférencier : Bruno Rousselle

Date : vendredi 14 février 2020

Lieu : Domaine des Communes (Anse)

Compte rendu : Alain de Romefort

Photos : Jean-Claude Martin

Clichés JC Martin

300 personnes subjuguées ont applaudi la démonstration scientifique époustouflante de brio faite vendredi 14 février par Bruno Rousselle, le géologue inspiré qui dirige le Musée des Pierres Folles et qui fait partie de l’équipe des conseillers scientifiques du «Géoparc». La soirée tenue dans la grande salle du domaine de la communauté de communes des Pierres Dorées à Anse avait été placée sous le triple parrainage du Géoparc, du Musée des Pierres Folles et de l’association «Itinéraires, Paysages et Patrimoine» de Régnié-Durette.

Pourquoi Régnié-Durette ? A cause du lieu dit de «la Tour Bourdon» où a été érigée avec l’accord des établissements Loron une pyramide formée de blocs mis à jour à l’occasion d’une opération d’arrachage et de plantation de vignes. Cette pyramide est depuis devenue l’un des géosites du «Géoparc» et pour Régnié-Durette, petite commune toujours désireuse de sortir de l’ordinaire, la pyramide est une sorte de totem complémentaire des 2 clochers de l’église construite par Bossan.

Un cliché remarquable pris par Jean-Claude Martin sans doute lors de l’érection de la pyramide. Dans la mâchoire du tracto-pelle l’église de Régné-Durette et un des gros blocs de grès de la Tour Bourdon.

Un cliché remarquable pris par Jean-Claude Martin sans doute lors de l’érection de la pyramide. Dans la mâchoire du tracto-pelle l’église de Régné-Durette et un des gros blocs de grès de la Tour Bourdon.

Bruno Rousselle alerté par le surgissement sidérant de ces mystérieux blocs de pierres comme des champignons s’était aussitôt engagé dans la recherche de leur origine. Cette recherche l’a entrainé à devenir le protagoniste d’une querelle scientifique ouverte il y a maintenant 150 ans. D’un coté deux géologues Lyonnais, Falsan et Chantre, soutenant qu’il y avait eu des glaciers dans la montagne Beaujolaise, de l’autre coté la majorité de leurs collègues objectant que vu la taille riquiqui des paisibles sommets du Haut Beaujolais l’hypothèse glaciaire était impensable. Des ancêtres des vaches charolaises oui, des ours blancs non.

Les 2 savants qui eurent l’intuition de la présence il y a très longtemps de glaciers en Beaujolais.

Les 2 savants qui eurent l’intuition de la présence il y a très longtemps de glaciers en Beaujolais.

Troublé quand même par l’étrangeté des gros rocs de la Tour Bourdon Bruno Rousselle en vint à se demander si ce n’étaient pas les deux géologues contestés par leurs collègues qui avaient raison et si la doctrine dominante qui récemment encore qualifia l’hypothèse glaciaire d’«ineptie» ne faisait pas fausse route.

Bruno Rousselle afin de démontrer qu’il ne s’agit justement pas d’une «ineptie» a construit sa démonstration à la façon d’une enquête de police scientifique au terme de laquelle il a pu donner raison à l’intuition de ses prédécesseurs du XIX° siecle et réhabiliter avec éclat leur mémoire. Toute proportion gardée l’exposé de Bruno Rousselle est à la géologie du Beaujolais ce que le rapport Khrouchtchev a été au Stalinisme, mais heureusement les glaces du Beaujolais d’il y a des centaines de millénaires, voire des millions, on s’y perd, n’ont pas accueilli de Goulag.

Dans une salle plongée dans l’obscurité Bruno Rousselle a appuyé sa démonstration par des tableaux, des illustrations légendées par des termes techniques, et des chiffres suivis d’une ribambelle de zéros conduisant dans des temps très lointains. A Regnié-Durette il n’y a qu’une seul personne capable de s’y retrouver, c’est Jean-Pierre Guillin. Mais le talent de Bruno Rousselle est tel qu’il est parvenu à rendre compréhensible par tous sa démonstration comme un roman ou un récit légendaire. Il y a quelque chose du voyage shamanique dans l’art que possède Bruno Rousselle de faire parler les pierres et les esprits de la terre au point que nous puissions nous aussi entendre leur voix venue des temps primordiaux.

Bruno Rousselle

Bruno Rousselle

Transcendant la complexité des très nombreux supports projetés sur l’écran la démonstration de Bruno Rousselle a été, en fait, d’une grande simplicité précisément parce qu’elle a été brillante et que le propre de ce qui qui brille est d’éclairer.

La démonstration de Bruno Rousselle s’appuie tout d’abord sur l’apparence des blocs. Ils sont presque comme neufs, agréablement ronds, sensuels même, tout en étant marqués par des griffures, ou des stries, qui évoquent des chocs qui ne se voient pas sur les galets roulés par les rivières mais qui se rencontrent sur les pierres charriées par les glaciers. Si l’on observe ces blocs en ayant creusé une tranchée à leur coté, ce que Bruno Rouselle a fait, pour étudier en profondeur comment ils sont enterrés dans le sol on s’aperçoit qu’il existe à leur base des plissures, celles-ci indiquant que le sol a été comprimé par leur poids.

Bruno Rousselle en a déduit que ces blocs sont tombés sur le sol. Largués depuis le ciel interrogera-t-on ? On ne voit vraiment pas comment à moins d’imaginer un géant Gargantua vivant parmi les mammouths lançant ces blocs par jeu. Ce serait là une explication qui plairait à nos amis Varnaudis mais elle ne serait pas scientifique encore que, parait-il, des motos auraient été ainsi chassées de la montagne des Aiguillettes mais ce serait Saint Martin qui serait intervenu, pas Gargantua.

Mais revenons à nos gros cailloux. Bruno Rousselle a découvert que le sol où ils reposaient correspondait à ce qui se rencontre au fond des lacs, d’où la compression de ce fond lorsque quelque chose de lourd y coule depuis la surface.

L’argument percute mais si l’on peut dire c’est reculer pour mieux couler. Que les gros rocs ne soient pas tombés du ciel on en convient volontiers mais qu’ils soient venus à la surface d’un lac en nageant ou en flottant pour ensuite y couler on ne voit guère comment. Même à Tibériade où, dit-on, un prophète marcha un jour sur les flots aucun bloc de pierre ne s’y balada. Certes il y a la légère pierre ponce volcanique qui peut flotter mais les pierres de la Tour Bourdon sont en grès, une roche lourde et solide, et il n’y a pas de volcans en vue même si le Tourvéon s’amuse à en prendre l’apparence. Alors?

Pour que le raisonnement de Bruno Rousselle soit valide il faut réunir 2 conditions: « uno » qu’il y ait un lac et « deusio » que les blocs puissent se déplacer à la surface de ce lac avant d’y sombrer. C’est précisément ce que Bruno Rousselle démontra d’une façon élégante et convaincante

Il y a eu, en effet, rappela-t-il à l’assistance, dans des temps immensément lointains un grand lac, débordant largement le lit de la Saône, entre ce qui est aujourd’hui le département de l’Ain et le Beaujolais. Le pays des «ventres jaunes» (il s’agit des natifs de l’Ain) était alors recouvert par un gigantesque glacier qui descendait du massif du Mont Blanc jusqu’à ce lac. Plus au sud, un autre glacier aboutissait là où se trouve aujourd’hui Lyon, il y charria le rocher de la Croix Rousse, imposant cousin germain des gros cailloux de la Tour Bourdon. Le monde est petit.

Le problème du lac étant résolu comment les blocs de grès ont-ils pu y flotter ? Tout simplement en étant enfermés dans des sortes de mini icebergs détachés du glaciers qui en fondant larguaient ces blocs sur le fond du lac.

Mais encore faut-il qu’il existe en amont du lac coté Beaujolais des glaciers, or la doxa géologique soutient que les montagnettes beaujolaises sont bien trop chétives pour supporter des glaciers. On était revenu à l’objection de départ mais avec quand même des indices puissants du moment qu’il n’y avait plus d’autre explication plausible.

Bruno Rousselle en bon scientifique ouvert à la pluri disciplinarité a remarquablement résolu la question du lac en faisant appel à la météorologie. Il expliqua qu’un puissant courant d’air glacé coulait forcément depuis les hauteurs du gigantesque glacier venu des Alpes et cela jusqu’au lac.

L’air glacé après avoir traversé le lac remontait ensuite le long des pentes de la montagne beaujolaise, celles-ci faisant tremplin le propulsaient au contact des masses d’air  formant barrage dans le ciel. Le choc des températures rencontre déclenchait tout aussi forcément des chutes de neige abondantes. Les hauts du Beaujolais furent ainsi recouverts d’une épaisse calotte glaciaire si bien que des blocs de grès emprisonnés dans la glace s’en détachèrent pour aller plus bas flotter sur le lac et y couler.

On peut aujourd’hui encore observer en Islande des configurations qui se rapprochent de celles décrites par Bruno Rousselle et sans doute aussi en Patagonie ou en Norvège (mais cela c’est le blog qui le dit et c’est peut-être une ineptie, Bruno Rousselle n’ayant parlé que de l’Islande.) En tout cas nos références à la Toscane dans la perception du paysage beaujolais devraient être pas mal chamboulées par cette révélation de l’histoire sous jacente sauvage et glacée de nos aimables paysages.

Les glaciologues ont pu établir un historique précis des périodes les plus lointaines de glaciation que connut la terre. Bruno Rousselle a pu vérifier qu’elles coïncidèrent avec celles des périodes au cours desquelles se formèrent les calottes glaciaires couvrant le Haut-Beaujolais. Comme les géologues utilisent des engins de datation sophistiqués les conclusions tirées de la concordance des dates ont tout lieu de tenir la route.

Un exemple de ces tableaux compliqués mais convaincants lorsqu’ils sont commentés par Bruno Rousselle.

Un exemple de ces tableaux compliqués mais convaincants lorsqu’ils sont commentés par Bruno Rousselle.

La démonstration révolutionnaire de Bruno Rousselle va avoir de grandes conséquences.

Tout d’abord cela va barder parmi les géologues notamment ceux qui se gaussaient de l’idée de la présence très ancienne de glaciers en Beaujolais. Ces géologues dogmatiques apparaissent maintenant comme étant des esprits «ineptes». Comment vont-ils réagir ? Les querelles entre scientifiques peuvent être terribles un peu à la façon des guerres de religion. « Bruno achètes toi au plus vite un gilet pare balles ! »

Ensuite c’est toute la caractérisation géologique des sols du vignoble qui va devoir être revue. Cette caractérisation a fondue comme autrefois les blocs de glace venus de la calotte glaciaire du Haut-Beaujolais à la surface du grand lac. L’enjeu déborde ici celui de la seule dispute scientifique puisqu’il va mettre en cause tout un récit territorial : celui des terroirs sur lequel s’est construit en grande partie le marketing récent du vignoble. Dominique Piron qui était dans la salle va devoir y songer. Après le rapport Khrouchtchev la Pérestroïka !

Déjà d’ailleurs des viticulteurs ont pris les devants :

 

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